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Politique : les risques du pourrissement

La crise démocratique dans laquelle se débat le pays n’est pas nouvelle, mais l’ampleur qu’elle a atteinte au lendemain de la dissolution décrétée par Emmanuel Macron, le 9 juin, fait froid dans le dos : profonde démonétisation du président de la République, sans que l’Assemblée nationale y trouve un quelconque crédit pour lui faire contrepoint ; défiance généralisée envers le personnel politique ; structuration du paysage politique en trois blocs dont chacun est rejeté par les deux autres ; relative résistance de l’image du Rassemblement national (RN) comparée au rejet massif dont fait l’objet La France insoumise (LFI).
Tous ces éléments mis en exergue par l’enquête électorale réalisée par Ipsos pour Le Monde, la Fondation Jean Jaurès, le Centre de recherches politiques de Sciences Po et l’Institut Montaigne éclairent le moment inquiétant que traverse le pays. Ils décrivent les effets de la quasi-paralysie de la vie politique depuis le résultat des élections législatives du 7 juillet, qui se traduit par la prolongation au-delà du raisonnable d’un gouvernement démissionnaire. Ils montrent en même temps l’énorme risque qui consisterait à laisser pourrir encore la situation.
Si Emmanuel Macron ne nomme pas très vite un premier ministre, s’il n’acte pas rapidement un changement, l’incompréhension qui transparaît dans l’enquête risque de se transformer en une exaspération qui pourrait conduire une partie des électeurs à s’exprimer autrement que par les urnes, en considérant que voter ne sert plus à rien.
L’enquête réalisée pendant les Jeux olympiques ne s’appesantit pas sur les raisons structurelles qui nourrissent depuis des années, en France comme dans beaucoup d’autres démocraties, la montée de la défiance politique : la crise du résultat des politiques menées et celle de la représentation. Elle souligne en revanche l’effet délétère qu’a eu la dissolution, unilatéralement décidée par le président de la République le soir de la défaite de son camp aux élections européennes.
Loin de lui redonner l’avantage, elle a amenuisé le peu de crédit qui lui restait sans donner d’avantage décisif à tel ou tel de ses adversaires du camp républicain ni réduire durablement la menace du Rassemblement national. Bloqué par un front républicain plus efficace que prévu, plombé par la persistance de son idéologie raciste, et par ses incohérences, le parti de Marine Le Pen et de Jordan Bardella n’en continue pas moins à résister en termes d’image, notamment par comparaison avec le rejet que suscitent les outrances de Jean-Luc Mélenchon. Près de 70 % des Français jugent aujourd’hui LFI dangereuse pour la démocratie.
A l’approche de la nomination du nouveau premier ministre, une décision majeure qui produira des effets dans la vie politique tout autant qu’économique et sociale, les leçons de l’enquête ne peuvent être négligées. Il est impératif que chaque camp s’interroge sur sa stratégie et son positionnement. L’enquête montre en effet qu’à force de jouer avec le feu, la droite républicaine a perdu sa capacité à retenir des voix qui se dirigent désormais vers le RN, tandis que la gauche, dans son ensemble, est pénalisée voire entravée par la montée du discrédit dont souffre Jean-Luc Mélenchon. Quant au responsable au premier chef de la paralysie actuelle, Emmanuel Macron, il est obligé de remettre profondément en cause son mode de présidence, et le contenu de sa politique, s’il ne veut pas conduire le pays au chaos.
Le Monde

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